Durant plus de trois décennies, l'histoire officielle a déformé la réalité et la portée des événements de 1968.

«áNous étions nombrilistes, oublieux du monde extérieur, nous ne voyions pas ce qui se passait dans le reste du monde, nous étions repliés sur nous-mêmes.á» (Bernard Kouchner, mai 1988). Ainsi, par une simple pirouette, M.áKouchner s'arroge le droit de balayer une dimension entière du mouvement de 1968, à savoir sa relation avec les luttes anticolonialistes et anti-impérialistes comme le Vietnam, l'Algérie ou Cuba.

«áAutour de l'année 1968, dans tout le monde occidental, apparaît sur la scène publique un nouveau personnage collectifá: la classe d'âge adolescente. (.) Elle s'affirme elle-même par opposition au monde adulte.á» Ces phrases d'un éditorial du Monde pour le trentième anniversaire de Maiá68 rejoignent l'appréciation de Raymond Aroná: «áNous sommes en présence d'un phénomène biologique autant que social.á» Elles confirment la volonté d'enterrer le caractère social de Mai, révolte de masse qui toucha tous les secteurs du travail, toutes les classes d'âge.

Ainsi, durant trois décennies, la mémoire de Maiá68 a été ensevelie sous les commémorations. L'événement a été réduit à la «álibération des moursá», alors qu'il fut le plus grand mouvement social de l'après-seconde guerre mondiale en Europe, la plus importante contestation de l'ordre social existant. Heureusement, le quarantième anniversaire se prépare sur d'autres auspices. Dans le fatras des publications, on note de nombreux ouvrages consacrés aux dimensions sociales et internationales de Maiá68.

Il est d'autant plus important de lire le livre coédité par Le Monde diplomatique et Complexe, Maiá68 et ses vies ultérieures, qui revisite les commémorations de l'événement et explique comment et pourquoi, durant plus de trente ans, s'est effectué un travail systématique pour éradiquer la dimension révolutionnaire de Maiá68.